Crédits : Romain Lena
Vous avez suivi de près les débats qui ont animé le Parlement européen autour de la directive sur le droit d’auteur.
En effet. Je suis le président de l’Alliance des Managers d’Artistes (AMA). A ce titre, j’interviens en tant qu’expert auprès de la Direction Générale Éducation et Culture de la Commission Européenne. Je suis aussi enseignant à l’EAC dans le cadre du Bachelor Médiation et Communication culturelle et du Mastère Management culturel. C’est donc un sujet que j’ai suivi de près, à titre personnel et professionnel. Je me suis beaucoup impliqué dans le soutien à la réforme qui a été apportée.
Que contient cette directive sur le droit d’auteur ?
Le droit d’auteur protège tout créateur d’une œuvre originale et les ayants-droits, c’est-à-dire les héritiers et les personnes ou entités qui auraient financé la création, comme le font par exemple les maisons de production. Les créateurs comme les ayants-droits peuvent autoriser ou non la diffusion d’une œuvre, sa reproduction, percevoir une rémunération, et traduire en justice les auteurs de contrefaçons.
Il faut se rendre compte que la propriété littéraire et artistique est la résultante d’une confrontation entre la protection des droits et de l’évolution des technologies. Le droit d’auteurs est donc une matière en évolution constante.
L’avènement du numérique et l’émergence des GAFAM ont mis le droit d’auteur face à des problématiques nouvelles. Par exemple : Google doit-il payer lorsqu’il enregistre des “clics” sur des contenus qu’il référence dans son moteur de recherche mais qu’il n’a lui-même pas produit ? Les clips musicaux mis en ligne sur YouTube par des internautes doivent-ils faire l’objet de rétribution des auteurs ou de leurs ayants-droits ? En fait, Google ne remet pas fondamentalement en cause le droit d’auteurs. La question ici est plutôt celle du niveau de rémunération. Nous sommes actuellement à des rémunérations extrêmement basses par nombre de vues sur YouTube.
Dans ce contexte, il est logique que la Commission Européenne se préoccupe de la protection des droits des compositeurs, des auteurs et des interprètes. L’objectif de ce texte est d’adapter le droit d’auteur aux pratiques liées au numérique pour mieux protéger les détenteurs de droits, comme les artistes créateurs et les éditeurs de presse. C’est un texte qui accompagne une évolution naturelle des pratiques et du droit, et qui sera remis en question car les technologies ne cessent d’évoluer.
C’est un texte qui a une triple importance. D’abord, il permet une meilleure rémunération des artistes. En effet, il assure la protection des ayants droits, sans toutefois fixer le niveau des rémunérations. Ensuite, c’est un texte qui rétablit un champ concurrentiel équitable car Deezer et Spotify étaient obligés de passer par des accords de licence alors que Google, en bénéficiant d’une exception qu’on appelait le safe harbour, bénéficiait de coûts plus bas. Enfin, le troisième effet positif de cette directive est que ce texte place l’Europe à l’avant-garde de la protection du droit d’auteur. Depuis son adoption, le Canada est en train d’introduire une nouvelle directive sur le droit d’auteurs, sur le partage de la valeur, et ils vont s’aligner sur la position européenne en la matière. L’Europe ouvre donc une brèche dans laquelle un certain nombre d’États vont pouvoir s’engouffrer.
Lors des débats autour de cette directive, on a opposé la liberté de diffusion sur Internet, dont découle l’accès aux savoirs en ligne, et la protection du droit des auteurs. Comment vous positionnez-vous dans ces débats ?
Je ne pense pas qu’on puisse opposer la propriété littéraire et artistique (PLA) et la liberté d’expression, c’est une confrontation qui me semble artificielle.
Contrairement à ce qu’a prétendu Google, ce texte ne porte pas atteinte à la liberté d’expression ni à la liberté de circulation des idées sur Internet.
Les plateformes seront désormais responsables des contenus publiés par leurs utilisateurs. La seule contrainte qu’il impose à ce titre est donc une obligation de conclure des accords de licence d’exploitation avec les créateurs et les ayant-droits des créations pour qu’ils soient rémunérés lorsqu’elles sont uploadées, ou de retirer les contenus dont la publication ne respecterait pas le droit d’auteur.
De plus, le texte n’impose pas l’obligation de mettre en place des outils de filtrage automatique pour interdire la mise en avant de contenus illégaux. Cette disposition a été abandonnée. Il appartient aux ayant-droits de se manifester auprès de Google si des vidéos sont en ligne sur YouTube sans qu’aient été négociés des accords d’exploitation. Dans ce cas, Google a toute la liberté de supprimer les œuvres concernées.
En outre, la directive sur le droit d’auteur prévoit des exceptions. Par exemple, l’utilisation d’extrait d’œuvres à des fins parodiques, de gifs ou de mèmes ne sera pas protégée par des accords de licence. De même, le text and data mining (TDM), cette méthode s’appuyant sur des outils technologiques qui permet aux chercheurs de fouiller automatiquement des publications et des données sur Internet à des fins scientifiques, est exclue de la directive. Il s’agit d’une exception au droit d’auteur. En effet, l’extraction de ces données sert la recherche européenne car elle permet d’établir de connexions entre plusieurs phénomènes. Enfin, les plateformes ayant moins de trois ans d’existence et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros ne sont soumises à aucun obligation afin de permettre à des start-ups européennes d’exister.
Quelles sont les prochaines étapes pour ce texte ?
La directive a été adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 15 avril 2019. Les États-membres ont donc deux ans pour la transposer dans leur droit national. Cela signifie que la discussion va se poursuivre au niveau des 28 État membres de l’Union Européenne, avec des adaptations qui vont varier d’un État à l’autre, de l’application a minima de la directive jusqu’à une application la plus large possible. La transposition se fera en fonction des différentes législations nationales. Le combat est donc loin d’être terminé !
Concrètement qu’est-ce que ça va changer pour un auteur ?
Jusqu’à ce texte, un problème touchait l’industrie de la musique : contrairement à des plateformes européennes de streaming comme Deezer ou Spotify, qui achetaient les licences aux ayants-droits afin de diffuser leur musique, une plateforme comme YouTube ne se considérait pas responsable du contenu posté par ses utilisateurs.
Alors que les premières étaient considérées comme des plateformes actives de mise à disposition de contenus musicaux notamment, et par ces accords garantissaient un revenu minimal aux créateurs et aux ayant-droits, ainsi qu’une protection des œuvres, YouTube défendait l’idée qu’ils étaient une plateforme passive de mise à disposition et de promotion des contenus musicaux, ce qui les exonéraient de toute prestation de droits aux ayant-droits. Cela a permis à YouTube de largement sous rémunérer les créateurs et les ayant-droits. En effet, YouTube a généré des revenus grâce à ces contenus à-travers la vente d’espaces publicitaires et la revente de données des internautes attirés sur la plateforme via la mise à disposition d’œuvres musicales, intellectuelles et créatives. Il y a donc bien eu des profits réalisés. C’est pourquoi l’Union Européenne a estimé qu’ils avaient un rôle actif et non pas passif. Il y avait donc une distorsion des règles de la concurrence, à laquelle le législateur européen a souhaité mettre fin.
En 2014, l’Espagne a voulu protéger les éditeurs de presse face à Google Actualités. Ce dernier a répondu en déréférençant tous les articles de la presse espagnole, conduisant à une forte baisse de leur fréquentation. Est-ce que cette directive n’engendre pas un risque de voir déréférencer la musique sur YouTube ?
YouTube est en effet rentré dans un rapport de force avec l’Espagne, et Google avait menacé de déréférencer les articles des journaux espagnols. A partir du moment où se sont 28 pays Européens qui s’allient, le rapport de force est en faveur de l’Union Européenne. L’Union fait la force. YouTube ne peut pas se permettre de se retirer du marché européen, qui comporte presque 500 millions d’habitants contre 46 millions pour l’Espagne.
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