Spécialiste des politiques culturelles publiques, co-fondatrice du mouvement HF qui milite pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture
Spécialiste des politiques culturelles publiques, co-fondatrice du mouvement HF qui milite pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture
Spécialiste des politiques culturelles publiques, co-fondatrice du mouvement HF qui milite pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, et membre du Haut Conseil à l’Égalité, Anne Grumet est coordinatrice pédagogique des Mastères et MBA « Manager de projet culturel » à l’EAC Lyon.
Les femmes sont nombreuses à faire des études supérieures dans l’art et la culture. Sont-elles victimes, encore en 2019, d’inégalités et de discrimination sexistes dans ces deux secteurs ?
C’est très paradoxal, car dans les arts et la culture, il y a une illusion de l’égalité parce que les professions sont mixtes. Il y a autant d’hommes que de femmes qui travaillent dans le secteur culturel, selon les chiffres de l’INSEE. Il y a donc en apparence une égalité numérique. Les femmes représentent 60% des promotions étudiantes dans les établissements d’enseignement supérieur artistique (théâtre, musique, danse), 65% pour les écoles de cinéma, 80% pour les principales écoles de formation au patrimoine. Cependant, une fois diplômées, elles sont victimes d’un plafond de verre car elles n’accèdent pas aux fonctions de direction. Les femmes sont toujours N-1, elles sont secrétaires générales, chargée des relations avec le public, chargées du mécénat, chargées de la communication, mais elles ne sont pas en situation de direction.
Pourriez-vous nous indiquer des chiffres permettant d’appuyer ces constats ?
Absolument, nous pouvons citer les chiffres du rapport « Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture – Acte II : après 10 ans de constats, le temps de l’action » remis par le Haut Conseil à l’Égalité à Françoise NYSSEN, Ministre de la Culture, le 16 février 2018.
Tout d’abord, les femmes sont moins actives que les hommes dans les secteurs de l’art et de la culture. Il y a 31% de femmes actives dans le monde de la culture, pour 69% des hommes alors qu’ils ne sont pas majoritaires dans les écoles de formation.
Les femmes sont aussi moins bien payées que les hommes, il y a aujourd’hui un écart de salaire de 27%. Dans le domaine du cinéma, le salaire d’une cinéaste est inférieur de 42% à celui de ses homologues masculins.
Elles sont en outre moins aidées : concernant les aides attribuées par le ministère de la culture à des projets artistiques, seulement 23% des aides sont attribuées à des projets dirigés par des femmes pour le spectacle vivant. Dans le secteur du cinéma, les femmes n’ont que 28% des aides du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Il y a donc 72% d’aides du CNC qui vont aux cinéastes hommes.
De surcroît, les femmes sont moins récompensées. Depuis la création du festival de Cannes en 1939, une seule palme d’or a été attribuée à une femme. 12% de femmes seulement ont reçu un Molière. Il y a 5 femmes au Panthéon pour 62 hommes.
Enfin, les femmes sont moins dirigeantes que les hommes dans les secteurs de l’art de la culture. Neuf fois sur dix, les plus grandes institutions culturelles françaises sont dirigées par des hommes. Et quand les femmes arrivent à occuper un poste de Direction, elles ont moins d’argent. Par exemple, dans le domaine des musées, il y a 42% de femmes directrices de musées, ce qui est un bon score, mais elles ne sont plus que 37% à la Direction des musées qui ont les plus gros budgets et les plus grandes capacités d’expositions.
En résumé, les femmes sont partout présentes dans les milieux de l’art et de la culture, elles sont formées, mais ensuite elles sont écrasées sous une avalanche de « moins » : moins actives, moins payées, moins aidées, moins programmées, moins dirigeantes, et quand elles dirigent, elles le font avec moins de moyens.
Pourquoi ces inégalités femmes-hommes constituent-t-elles un problème crucial dans les secteurs de l’art et la culture ?
Cela pose un problème démocratique, car les femmes constituent la moitié de l’humanité. Cela veut dire que notre société n’est conçue, dirigée que par une vision masculine.
Cela pose, d’autre part, un problème économique majeur, car le secteur culturel est largement financé par de l’argent public. Chaque année, ce sont quelques 20 milliards d’euros de l’État et des collectivités territoriales qui financent la culture en France. Cela signifie que cet argent public, au lieu de servir l’égalité, fabrique au contraire des inégalités.
Il y a un autre aspect extrêmement préoccupant dans la culture, c’est la question des violences sexuelles et sexistes. On l’a bien vu avec le mouvement #MeToo. Il y a aujourd’hui deux signalements par semaine au ministère de la Culture pour dénoncer des violences sexuelles et sexistes qui se passent dans le secteur culturel.
Les artistes nous parlent des évolutions de notre monde. Alors que ce domaine a la réputation d’être, par nature, plus ouvert, plus égalitaire, ces chiffres montrent que ce secteur n’est pas différent des autres. Il est traversé par des violences sexuelles et sexistes prégnantes, qui ont jusque-là fait l’objet de déni ou d’omerta.
Est-ce que ces questions d’égalité ne concernent pas aussi le patrimoine culturel et la visibilité des femmes dans l’art ?
Dans le cadre de mon engagement militant, je travaille avec l’association HF sur ce que nous appelons le matrimoine. Le patrimoine, c’est l’héritage de nos pères. Et le matrimoine, c’est l’héritage de nos mères. Nous travaillons à ce que les femmes redeviennent visibles dans l’histoire des arts.
En effet, les œuvres d’art féminines ont été « invisibilisées » dans l’histoire. Aurore Evain, chercheuse, autrice, dramaturge, metteuse en scène a recensé 2 000 textes de femmes de théâtre, jouées, appréciées de leur public mais qui ont été rendues invisibles au fil des siècles. Pour être femmes artistes, il fallait être la sœur de ou la maîtresse d’un homme, par exemple Camille Claudel et Rodin. Il y a eu une « invisibilisation » des femmes dans tous les domaines artistiques. En littérature, pour la première fois, en 2016, une auteure femme est entrée au programme du Baccalauréat de français de terminale, Madame de la Fayette. Cela n’était jamais arrivé avant, et les écrivaines contemporaines ne sont toujours pas présentes !
C’est pourquoi au sein du mouvement HF, nous travaillons à rendre visibles les œuvres de femmes de façon à ce que les jeunes femmes que nous formons puissent avoir des figures tutélaires, des modèles pour s’inspirer, se projeter sur tous types de professions.
Comment fait-on à l’EAC pour préparer les étudiantes à cette réalité-là ?
Les écoles de formation ont un rôle extrêmement important d’abord pour décrypter les situations. Ces situations, il faut apprendre à les objectiver à-travers de chiffres. A l’EAC Lyon, nous proposons trois modules dans lesquels ces questions sont abordées.
De plus, les établissements d’enseignement supérieur ont la responsabilité de transmettre aux étudiants et étudiantes des outils pour ne pas reproduire ces inégalités. A l’EAC Lyon, nous proposons par exemple des ateliers d’expression orale, de prise de parole en public, qui permettent de préparer des oraux. Nous formons les étudiantes et les étudiants à la prise de parole en public. Cette compétence est importante pour défendre des projets dans le cadre professionnel, pour faire entendre sa voix et se reconnaitre légitime.
Concernant la préparation au recrutement, nous proposons des séances de coaching pour aider l’étudiant ou l’étudiante à se préparer à l’entretien, à savoir exprimer ses compétences, les valeurs qu’il ou elle défend.
Est-ce que c’est important aussi que les étudiants soient sensibilisés à ces questions ?
Bien sûr, c’est l’affaire de tous. Cet engagement pour l’égalité concerne autant les hommes que les femmes, il n’exclue pas les uns par rapport aux autres. Tout le monde est concerné. Beaucoup d’hommes sont convaincus qu’il faut agir.
Hommes, et femmes, on gagne tous à l’égalité, car c’est le respect du point de vue l’autre, c’est un équilibre qui fait de l’altérité une richesse.
Pour en savoir plus
Le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes
Propos recueillis par Joanna Peel